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L’art de Carsten Crone Caroc

Carsten Crone Caroc

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Je venais de démarrer le yoga et je pratiquais deux fois par jour. Submergé par les effets, j’avais besoin de consulter un professeur expérimenté. J’ai appelé un centre de yoga à Stockholm et Carsten a pris mon appel. Il fut l’un de mes premiers contacts avec l’Ecole Scandinave de Yoga et de Méditation. D’une voix calme et amicale empreinte d’autorité spirituelle, il m’a donné des conseils pratiques dont je me souviens aujourd’hui encore.

Lorsque j’ai rejoint la formation de Swami Janakananda deux ou trois ans plus tard, Carsten était aspirant senior. J’ai souvent travaillé avec lui et à quelques occasions nous avons partagé un logement. Je le considère comme un bon ami. En mai 2018, j’aurai le plaisir de le revoir à Paris pour l’exposition de ses oeuvres chez Yoga & Méditation Paris.

J’ai eu récemment une longue discussion avec lui autour de nos souvenirs des années passées à l’ashram, de son itinéraire de professeur de yoga et de son parcours artistique.

– Qu’as-tu découvert en premier, l’art ou le yoga ?

Après le lycée, j’ai étudié deux mois dans un université populaire d’art danois. C’était un internat en dehors de Kalundborg. Durant cette période, un professeur de yoga formé par un disciple de Swami Satyananda nous a donné des cours deux fois par semaine, pendant six semaines. J’ai été immédiatement convaincu.

En 1997, de retour au Danemark après un voyage en Australie et en Nouvelle-Zélande, Carsten participa à une retraite de 15 jours au centre de yoga de Håå, en Suède. Au terme de cette expérience, il décida de suivre le stage de trois mois l’année suivante. Il s’agit d’une retraite assez poussée, durant laquelle des techniques particulièrement profondes sont enseignées, au cours de 33 jours de silence. A l’issue de cette retraite, plusieurs participants décidèrent cette année-là de rester pour se former en tant que professeurs. Carsten fut l’un d’eux.

Durant sa formation de professeur de yoga, Carsten habitait à l’ashram de Stockholm, une branche de l’école particulièrement rigoureuse. En dehors de l’apprentissage de l’art d’enseigner le yoga et la méditation, sa formation incluait le karma yoga, le yoga de l’action. Carsten avait appris la menuiserie et la maçonnerie ; à l’école de yoga, il abattit un travail considérable durant des années. Je me souviens que lorsqu’il venait à l’ashram de Håå où j’habitais, pour les séminaires trisannuels de professeurs, il était affublé en permanence d’une tenue de chantier et d’outils à la main.

Notre maître Swami Janakananda était peintre quand il était jeune. Il comptait plusieurs peintres parmi ses amis, dont les plus connus sont Sohan Qadri et Leif Madsen. Il avait pris soin de décorer le centre d’oeuvres inspirantes. Beaucoup de ses élèves étaient aussi des artistes amateurs, et pas mal de leurs peintures ornaient les murs, aux côtés d’affiches de Mark Rothko, de Paul Klee et d’art tantrique.

En 2004, au terme de ses six ans de formation, Carsten quitta l’école, à ma grande surprise.

-Pourquoi as-tu décidé de partir, au lieu de devenir professeur de yoga et de méditation à plein temps ?

Je rêvais de vivre une vie d’artiste. En la combinant peut-être avec ce que j’avais appris à l’école de yoga.

Je le comprends. La puissance du yoga que nous a enseigné Swami Janakananda nous rend conscients de nos rêves les plus profonds. Et il nous donne le pouvoir de les poursuivre.

Carsten partit d’abord faire un long voyage en Inde. A son retour, il postula à l’Académie royale danoise des Beaux-arts, mais ne fut pas admis. Il suivit un stage de peinture d’un an, puis retenta le concours. Parmi les 600 postulants, il fut l’un des 30 à obtenir une place.

-Être accepté dans cette Académie n’est pas facile. Dirais-tu que ta pratique de yoga et de méditation t’as aidé ?

Je ne peux pas en être sûr, mais le yoga m’a sans aucun doute rendu plus sensible à l’art. L’énergie qu’il m’a donnée et la constance acquise durant ma formation auprès de Janakananda m’ont aidé à rester motivé durant la préparation du concours.

-Quel rôle le yoga et la méditation jouent-ils un dans ton travail artistique ?

Le yoga ôte mes inhibitions et l’état détendu qu’il suscite stimule mon imagination. La clarté que donne ces pratiques me rend capable de trier parmi toutes les idées qui me parviennent. Et l’énergie et la constance qu’elles induisent me rendent capable de les réaliser.

-Et lorsque tu enseignes ? Beaucoup d’idées me traversent quand je donne un cours. Janakananda témoigne de la même chose, de même que d’autres professeurs.

Cela m’arrive aussi. Mais elles surgissent surtout durant ma propre pratique.

Carsten se rappelle la première fois qu’un motif monta de son subconscient pour devenir une peinture. C’était en 1994, alors qu’il était à l’Université populaire. Il se réveilla un jour à quatre heures du matin avec l’idée claire d’une peinture en tête. Il l’esquissa rapidement puis se rendormit. Le lendemain, il commença à travailler à une peinture sur la base de son esquisse. C’était à l’époque l’une de ses oeuvres les plus fortes.

-La clairvoyance spirituelle que tu as acquise grâce à ton Sadhana s’exprime-t-elle dans ton art ?

Je n’aime pas utiliser le mot “spirituel”. Pour moi, il manque de consistance. Le concept d’énergie me parle davantage. J’en fais l’expérience en moi et chez les autres. Je ressens aussi qu’il y a une forme de vibration ou d’énergie dans les symboles et les formes qui nous influencent.

Les oeuvres de Rothko, par exemple, sont puissantes. Elles provoquent une espèce d’impact émotionnel. Certains symboles comme la croix, le cercle et le swastika me touchent profondément.

Je me souviens des nombreux fois où, à Håå, nous nous rendions dans la salle à manger après nos exercices de yoga matinaux. Les sens aiguisés par la pratique, nous buvions notre thé en silence. Je regardais les peintures accrochées aux murs. Elles me touchaient. C’est comme si elles étaient vivantes et rayonnantes. Carsten me dit qu’il avait lui aussi été inspiré par les oeuvres que Swami Janakananda exposait à l’ashram.

-Certains artistes t’inspirent-ils particulièrement ?

Je pourrais mentionner Mark Rothko, Paul Klee, Sohan Qadri et Franz Kline, qui était d’ailleurs inspiré par le bouddhisme zen. Le mouvement Colorfield et l’expressionnisme abstrait d’artistes comme Frank Stella m’inspirent aussi.

Le minimalisme m’émeut également dans son expression, mais pas dans la philosophie qui le sous-tend. Je suis en outre touché par les arts premiers et l’art rituel, comme celui du tantra.

La géométrie sacrée et la géométrie naturelle, comme les fractales, sont d’autres sources d’inspiration. Je suis fasciné par le nombre d’or, la suite de Fibonacci qui est omniprésente dans la nature, les dessins sur les animaux… Cela révèle que quelque chose ne peut pas s’exprimer par des mots, mais doit être compris de manière intuitive.

Pour revenir à ta question sur le lien entre mon art et les états profonds accessibles via la méditation : en méditation, des visions de fractales et des spirales m’apparaissent parfois.

Performance par Carsten Crone Caroc à Sophienholm, Copenhague 2017
Performance à Sophienholm, Copenhague 2017

Carsten habite dans le quartier de Nørrebro à Copenhague avec sa femme et ses deux filles. Son atelier se trouve à quelques minutes à pied. Il travaille toujours comme professeur de yoga et de méditation à l’École Scandinave de Yoga & Méditation dans le centre-ville, à Købmagergade. Il y donne quelques cours par semaine.

– J’ai suivi ton évolution artistique depuis que tu as quitté l’ashram. J’ai l’impression qu’au début, tu as cherché ton style. As-tu le sentiment qu’après plusieurs années de pratique artistique, tu as trouvé ton propre style ?

Ma compréhension s’est développée et je suis content du champ actuel de mon travail. Durant ma formation, afin d’être admis à l’Académie, on m’a encouragé à produire des peintures figuratives. Je m’en suis tenu au figuratif pendant un temps, mais cela était problématique pour moi car je devais baser mes oeuvres sur des photos et je ne voyais pas ce que je voulais exprimer à travers elles. J’étais plus intéressé par les couleurs, les formes et le langage du rêve. Je voulais revenir à l’abstrait.

-Que veux-tu exprimer par ton art abstrait ?

Dans certaines de mes peintures, je vois ce que j’appelle des “signes de puissance”. Cela fait naturellement référence au yoga. Les symboles et les couleurs comptent plus ensemble que séparément.

Quand je peins, je pense d’abord à l’effet visuel de mon art plutôt qu’à sa signification. Je souhaite que mon art influence de manière positive et laisse une impression. Je le teste sur moi. Je dois le sentir porteur à la fois de puissance et d’équilibre – exactement comme dans le yoga.

J’ai plusieurs des peintures de Carsten chez moi, et quelques-unes embellissent les murs du bureau de notre école de yoga. Elles ont indubitablement un effet sur moi.

Une sélection d’oeuvres de Carsten Crone Caroc seront exposées à l’occasion d’une exposition le vendredi 18 mai et le samedi 19 mai 2018 à Yoga & Méditation Paris, en présence de Carsten.

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Remerciements :
Réjane Ereau, pour la relecture.

Sri yantra, Carsten Crone Caroc
Peinture par Carsten Crone Caroc
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Christian Möllenhoff professeur de yoga et e méditation
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Christian Möllenhoff

Professeur de yoga et de méditation et formateur d’enseignants. Reconnu pour sa pédagogie des plus rigoureuses, Christian est le professeur principal de l’école Yoga & Méditation Paris et le créateur du site Forceful Tranquility.