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Shatkarma – Les six techniques de purification du Hatha Yoga expliquées

Un yogi en train de manger du coton.

On rencontre parfois des pratiques de yoga étonnantes : avaler du tissu, boire puis vomir de l’eau salée, ou encore nettoyer le côlon. Ce sont les shat karmas. Ces techniques constituent en réalité un ajout relativement tardif à la tradition du hatha yoga, largement influencé par les méthodes médicales indiennes anciennes. Les textes promettent parfois des effets spectaculaires — mais dans quelle mesure ces pratiques sont-elles encore pertinentes aujourd’hui ? Décryptage.

Purification et préparation : le rôle des shatkarmas

Le yoga moderne commence presque toujours par les postures. Mais dans certains systèmes plus anciens, la pratique débutait autrement : par la purification.

Les six shatkarmas — ou shat kriyas — étaient considérés par certains yogis comme des préliminaires indispensables. Leur but était de purifier le corps et de rétablir l’équilibre avant d’entamer des pratiques plus profondes comme le pranayama ou la méditation. En d’autres termes, ils visaient à enlever les obstacles physiques pour permettre au travail subtil de se déployer.

Aujourd’hui encore, certains shatkarmas subsistent dans le yoga moderne, mais peu de pratiquants connaissent leur origine ou comprennent à quel point ce groupe de techniques est hétérogène et peu systématique.

Cet article propose un aperçu complet : leurs origines, leur logique interne et leur place actuelle dans les pratiques yogiques.

Sécurité

Les techniques décrites sont issues de textes anciens. Certaines sont invasives ou potentiellement dangereuses si mal pratiquées. Cet article vise à informer, non à recommander. En cas de doute, demandez conseil à un professionnel de santé ou à un enseignant compétent.

Que sont les shatkarmas ?

Le terme sanskrit shat signifie « six », et karma (ou kriya) signifie « action » ou « processus ». Le mot shatkarma désigne donc six techniques de purification, décrites pour la première fois dans un contexte yogique dans la Hatha Yoga Pradipika (XVe siècle), puis développées dans la Gheranda Samhita et le Hatha Ratnavali (XVIIe siècle).

« Ceux qui ont un excès de graisse ou de phlegme devraient d’abord pratiquer les six actes de purification ; les autres, dont les humeurs sont équilibrées, n’en ont pas besoin. »

Hatha Yoga Pradipika 2.21


En réalité, il existe plus de six techniques de purification, et la Hatha Ratnavali les décrit explicitement comme asta karma (huit méthodes) en y ajoutant deux pratiques supplémentaires.

La Gheranda Samhita conserve la catégorisation en six, mais ajoute de nombreuses techniques supplémentaires, notamment le nettoyage des dents, des gencives et des oreilles.

Ces méthodes s’appuient largement sur la logique médicale de l’Ayurveda — vent (vata), bile (pitta) et phlegme (kapha). Elles introduisent une couche théorique, ainsi qu’un groupe de pratiques qui n’existaient pas dans les premiers textes de hatha yoga.

Note importante

Les shatkarmas sont aussi appelés shat kriyas ou hatha yoga kriyas. Attention toutefois : le mot kriya a eu de nombreux sens dans l’histoire du yoga. Les shat kriyas n’ont rien à voir avec les kriyas modernes du kundalini yoga, ni avec le kriya yoga du Yoga Sutra de Patanjali.

Une addition tardive et hétérogène au Hatha Yoga

Les textes les plus anciens du hatha yoga — comme l’Amritasiddhi ou le Dattatreyayogashastra — ne mentionnent aucune forme de shatkarma. Le hatha ancien se concentre sur le souffle, les mudras et la préservation du bindu, comme l’a démontré Birch (2011).

Leur cœur de pratique reposait sur :

Les techniques de purification ne se développent que plus tard, entre les XVe et XVIIe siècles, probablement empruntées à l’Ayurveda et aux pratiques ascétiques — une évolution confirmée par Shalev (2024).

Les six shatkarmas ne constituent pas un système cohérent : c’est une boîte à outils pratique, issue d’expérimentations et d’adaptations.

Les six Shatkarmas : Aperçu

Nom
But traditionnel
Technique traditionnelle
Dhauti
Fait disparaître la toux, les sifflements respiratoires, les inflammations de la rate, les maladies de la peau et les troubles liés au phlegme.
Avaler une longue bande de tissu puis la retirer.

Nombreuses variantes incluant nettoyage à bâton et à l’eau. .
Basti
Élimine les enflures, les inflammations de la rate, les troubles digestifs et toutes les maladies liées au vent, à la bile et au phlegme.

Aspirer de l’eau dans le côlon, dans un lac ou une rivière. 

Neti
Donne une vision divine et guérit  les maladies situées au-dessus de la mâchoire.
Faire passer un fil par le nez jusqu’à la bouche.
Trataka
Guérit les maladies des yeux et apporte vitalité.
Fixer un point jusqu’à l’apparition de larmes.
Nauli
Activer le feu digestif (agni).
Faire tourner les muscles abdominaux d’un coté à l’autre.
Kapalbhati
Rétablit les déséquilibres de phlegme.
Série d’expirations rapides et forcées, comme les soufflets d’un forgeron.

Maintenant que vous avez un aperçu global, examinons chaque pratique plus en détail — son histoire, sa logique traditionnelle et ce que la science en dit aujourd’hui.

Voici un résumé de chaque technique.

1. Dhauti — Purification du système digestif

Dhauti regroupe plusieurs techniques visant à nettoyer l’estomac et les intestins. Dans la version décrite dans la Hatha Yoga Pradipika, la pratique consiste à avaler une longue bande de tissu humide — une procédure aujourd’hui quasiment abandonnée. Dans la Gheranda Samhita, une technique appelée danda dhauti est décrite : elle consiste à utiliser une baguette plutôt qu’un tissu pour nettoyer l’œsophage — une méthode encore plus invasive.

Dhauti - la pratique de manger du coton.
Tout le monde n’aime pas autant que moi le goût du coton salé. En fait, avaler la bande peut être assez délicat à cause du réflexe de vomissement. En revanche, tirer la bande ensuite — comme un long spaghetti visqueux — est plutôt amusant.

Les variantes encore employées de nos jours incluent :

  • Kunjal kriya — boire de l’eau salée et provoquer un vomissement contrôlé
  • Shankhaprakshalana — faire circuler de l’eau salée dans l’ensemble du tube digestif
  • Versions douces : gratte-langue, hygiène buccale, massage abdominal

Logique traditionnelle : éliminer mucus et stagnation.

Perspective moderne : certains nettoyages à l’eau ont un effet physiologique temporaire, les formes mécaniques extrêmes sont déconseillées.

2. Basti — Lavement yogique

Dans les textes anciens, basti consiste à faire entrer de l’eau dans le côlon par contraction afin de nettoyer les intestins. On recommandait d’aspirer l’eau directement depuis un lac ou une rivière — une méthode aujourd’hui clairement déconseillée, surtout dans des eaux non traitées comme c’est souvent le cas en Inde.

En Ayurveda, basti reste l’un des cinq purifications majeures (panchakarma).

En médecine moderne, les lavements ne sont utilisés que dans des situations précises.

Les bénéfices promis par les textes yogiques sont très larges, mais les recommandations actuelles insistent sur la prudence : un usage trop fréquent peut perturber la flore intestinale.

Neti — Nettoyage du nez

Dans sa forme classique décrite dans la Hatha Yoga Pradipika, le neti consiste à insérer un fil dans une narine et à le faire ressortir par la bouche. C’est une pratique assez impressionnante, qui déclenche immédiatement une production de mucus et un nettoyage des muqueuses. Il existe cependant une méthode plus douce, utilisant simplement de l’eau salée.

Un cathéter pour sutra neti.
Cathéter modern pour sutre neti.
  • Sutra neti — passage d’un fil dans les narines
  • Jala neti — rinçage nasal à l’eau tiède salée

Pour pratiquer sutra neti, il est nécessaire d’utiliser un cathéter adapté. On peut en trouver sur Chin Mudra ou dans d’autres boutiques spécialisées en accessoires de yoga.

La technique avec le fil purifie le crâne, confère une vision divine et guérit rapidement une multitude de maladies situées au-dessus de la mâchoire.

Hatha Yoga Pradipika 2.31

Pour jala neti, on utilise un neti lota, un petit pot conçu pour le lavage du nez. Il en existe de nombreux modèles ; je recommande particulièrement le NoseBuddy.

Les textes anciens attribuent à sutra neti des effets très exagérés, mais jala neti est aujourd’hui solidement soutenu par de nombreuses études médicales : meilleure respiration nasale, réduction des sinusites et hygiène générale des voies respiratoires.

Une revue scientifique de haute qualité (Chong et al., 2016) confirme que les irrigations salines nasales — l’équivalent médical moderne du jala neti — améliorent les symptômes et la qualité de vie chez les personnes souffrant de sinusites chroniques, avec très peu d’effets secondaires.

 Lire aussi : Neti – Le lavage du nez

Tratak — Regard fixe

Trataka consiste à fixer un petit objet du regard jusqu’à ce que les larmes apparaissent. Aujourd’hui, on le pratique généralement en observant la flamme d’une bougie. Traditionnellement, cette technique était considérée comme une purification des yeux.

On doit fixer constamment un objet minuscule, en restant totalement concentré jusqu’à ce que les larmes coulent. Selon les adeptes, c’est cela, trataka.

Hatha Ratnavali 1.54


Les effets supposés comprennent la guérison de maladies touchant les yeux.

De nos jours, on utilise le trataka surtout pour développer la concentration, calmer l’esprit et préparer la méditation.

Trataka bénéficie d’une certaine validation scientifique pour la santé des yeux. La pratique semble renforcer plusieurs fonctions visuelles, tout en améliorant l’attention et en réduisant l’anxiété. En revanche, l’idée d’une “purification” des yeux suite aux larmes n’est pas soutenue par la science.

Lire aussi : Comment pratiquer tratak ? – Un guide complet

Nauli — Rotation abdominale

Nauli est impressionnant : il consiste à contracter et faire tourner les muscles abdominaux.

Nauli : mouvement circulaire des muscles abdominaux, pratiqué depuis des siècles pour masser et tonifier tout le système digestif.

Traditionnellement, il stimule le feu digestif et masse les organes internes.

Faites tourner l’estomac rapidement des deux côtés. Cela élimine toutes les maladies et accroît le feu corporel.

Gheranda Samhita 1.51

Bénéfices subjectifs vécu par les pratiquants :

  • meilleure motilité digestive
  • tonification abdominale
  • activation du système nerveux parasympathique

Nauli est difficile, mais des variantes douces (comme la respiration de vague) sont accessibles à tous.

Lire aussi : Nauli kriya – Guide complet

Kapalbhati — “Respiration nettoyante du crâne”

À l’origine destinée à éliminer le mucus, kapalbhati est aujourd’hui surtout reconnu comme une technique respiratoire.

Voici kapalabhati : une inspiration et expiration rapides, comme les soufflets d’un forgeron, est appelée kapalabhati, “le soufflet du crâne”. Elle assèche les déséquilibres de phlegme.

Hatha Yoga Pardipika 2.36

La recherche moderne confirme :

  • amélioration de la fonction pulmonaire
  • stimulation parasympathique
  • clarté mentale

Son rôle de nettoyage nasal est secondaire, mais son effet respiratoire est bien documenté.

Une revue systématique de 2021 conclut que seules quatre des six pratiques (dhauti, neti, trataka et kapalbhati) disposent de données scientifiques limitées mais encourageantes, tandis que nauli et basti restent sans étude moderne publiée (Swathi et al., 2021).

Les Shatkarmas dans le yoga moderne

Aujourd’hui, les shatkarmas occupent une place beaucoup plus restreinte qu’à l’époque des textes médiévaux. Plusieurs raisons expliquent cela.

D’abord, les techniques décrites dans les sources anciennes sont souvent invasives, exigeantes et parfois risquées si elles ne sont pas encadrées par un enseignant compétent. Elles s’intègrent difficilement dans un cours de yoga moderne, où l’on privilégie surtout les postures, la respiration rythmée et la relaxation.

Ensuite, la médecine contemporaine apporte des repères clairs :

certaines purifications peuvent être utiles (comme le jala neti), tandis que d’autres sont déconseillées ou ne montrent aucun bénéfice démontré. Le filtre de la sécurité, de l’hygiène et de la physiologie moderne a donc naturellement réduit l’usage de plusieurs pratiques.

À partir du XXᵉ siècle, certaines écoles — notamment la Bihar School of Yoga (Satyananda Saraswati) — ont tenté de réorganiser et moderniser les shatkarmas, en leur donnant une place structurée dans les retraites intensives, les formations et parfois dans une pratique quotidienne. Mais même dans ces milieux spécialisés, la transmission se concentre sur les variantes sûres : les méthodes extrêmes sont presque toujours abandonnées.

Aujourd’hui, les shatkarmas ont évolué ou se sont redistribués :

  • Jala neti, kunjal, shankhaprakshalana et nauli subsistent car ils sont relativement simples, efficaces et sûrs lorsqu’ils sont enseignés avec rigueur.
  • Trataka appartient désormais surtout au domaine de la concentration et de la méditation, plutôt qu’à celui de la purification physique.
  • Kapalbhati est devenu un pranayama énergisant, distinct de son rôle originel de « nettoyage du crâne ».
  • Les formes douces de pratiques mineures (gratte-langue, hygiène buccale, auto-massage abdominal) ont rejoint la routine de bien-être moderne.

Certaines pratiques autrefois ésotériques font aujourd’hui partie de l’hygiène quotidienne, tandis que d’autres relèvent davantage de l’histoire du yoga que d’une application contemporaine.

Au final, les shatkarmas ont une valeur historique et pédagogique, mais ils ne forment pas un ensemble cohérent doté d’un objectif clair, uniforme et scientifiquement validé. Leur compréhension demande du discernement : il s’agit moins d’un programme à suivre que d’une fenêtre ouverte sur la créativité et l’expérimentation.

A retenir

  • Les shatkarmas n’appartiennent pas au hatha yoga originel ; ils apparaissent tardivement, influencés par l’Ayurvéda et les pratiques médicales indiennes.
  • Avec ces techniques de purification, l’idée des humeurs — mucus (kapha), bile (pitta) et air (vata) — s’ajoute à la théorie du hatha yoga.
  • Ils ne forment pas un ensemble cohérent : leur nombre et leur logique varient selon les textes (six, huit ou davantage).
  • Leur objectif traditionnel est de préparer le corps et d’équilibrer les humeurs avant pranayama et méditation ; la Hatha Yoga Pradipika précise d’ailleurs qu’ils ne sont pas nécessaires pour tous.
  • Aujourd’hui, seules les variantes sûres restent courantes : jala neti, nauli, kapalbhati, trataka, ainsi que kunjal et shankhaprakshalana en contexte encadré.
  • Les pratiques extrêmes des textes anciens (avalage de tissu, lavements en rivière, bâton dans la gorge) ont été abandonnées pour des raisons évidentes d’hygiène et de sécurité.
  • Les shatkarmas classiques ont surtout une valeur historique et pédagogique ; les versions modernes, douces et sécurisées sont les seules réellement pertinentes aujourd’hui.

FAQ – Shatkarmas : questions fréquentes

Non. Les textes eux-mêmes (Hatha Yoga Pradipika 2.21) précisent que seuls les pratiquants ayant un excès de mucus, de graisse ou d’humeurs perturbées en ont besoin.
Aujourd’hui, ils ne sont pas considérés comme indispensables.
Cependant, certaines techniques peuvent tout de même apporter des bénéfices réels.

Certaines versions traditionnelles peuvent l’être : avaler du tissu, utiliser un bâton dans la gorge ou aspirer de l’eau d’une rivière comporte des risques évidents.
Les versions modernes (jala neti, nauli, kapalbhati, kunjal) sont en revanche sûres lorsqu’elles sont bien enseignées et pratiquées dans des conditions d’hygiène appropriées.

Les techniques les plus pertinentes et utilisées aujourd’hui sont :
Jala neti – excellent pour les sinus
Nauli – digestion, tonus abdominal, stimulation vagale
Kapalbhati – respiration, donne énergie, clarté mentale
Trataka – concentration, stabilité mentale
Kunjal kriya – décongestion gastrique (apprentissage encadré recommandé)
Shankhaprakshalana – nettoyage intestinal complet (apprentissage encadré recommandé)

Il est préférable d’apprendre cette technique avec un enseignant expérimenté.
Elle demande un encadrement précis pour éviter un déséquilibre du taux de sel dans le sang, une déshydratation ou simplement une expérience désagréable.
Nous fournissons toutefois des instructions détaillées dans cet article afin de réduire les risques chez les pratiquants autonomes, mais cela ne remplace pas un accompagnement direct.

Oui, mais de manière adaptée.

Leur valeur principale aujourd’hui est pédagogique et préparatoire : ils rappellent que le yoga vise à équilibrer et affiner le corps pour favoriser la méditation.

Les versions modernes, douces et sécurisées permettent d’intégrer cet esprit sans reproduire les pratiques extrêmes des textes anciens.

Sources

Swathi, P. S., Raghavendra, B. R., & Saoji, A. A. (2021). Health and therapeutic benefits of Shatkarma: A narrative review of scientific studies. Journal of Ayurveda and Integrative Medicine, 12(4), 567–576.

Shalev, H. (2024). Should a yogi be healthy? Health concepts in early Haṭhayoga texts. Journal of Indian Philosophy, 52, 485–504.

Chong, L. Y., Head, K., Hopkins, C., Philpott, C., Glew, S., Scadding, G., Burton, M. J., & Schilder, A. G. M. (2016). Saline irrigation for chronic rhinosinusitis. Cochrane Database of Systematic Reviews, 2016(4), CD011995.

Birch, J. (2011). The meaning of haṭha in early haṭhayoga. Journal of the American Oriental Society, 131(1), 1–19.

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Christian Möllenhoff 2024
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Christian Möllenhoff

Professeur de yoga et formateur d’enseignants, Christian est reconnu pour sa pédagogie rigoureuse et inspirante. Il est le professeur principal de l’école Yoga & Méditation Paris, le créateur du site Forceful Tranquility, et l’auteur principal de ce blog.

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