Les origines de yoga nidra

Yoga nidra est une technique de relaxation méditative qui est devenue une pratique courante dans de nombreux styles de yoga contemporains. Mais en dépit de sa popularité, il y a à la fois de la confusion et de la controverse quant à ses origines. D’où vient le yoga nidra, qui l’a créé, et est-ce que c’est une pratique ancestrale ? Dans cet article, vous trouverez les réponses.

Yoga nidra est un ancien nom décrivant un état méditatif profond. Mais la technique de relaxation yoga nidra est une pratique récente créée par le yogi indien Swami Satyananda Saraswati au début des années soixante-dix. Il s’est inspiré de pratiques yogiques ancestrales mais aussi, au moins indirectement, de techniques de relaxation occidentales.

Avec ce résumé, vous avez déjà un aperçu du contenu de cet article. Maintenant, creusons le sujet à fond.

Comment pratiquer 

Pendant la pratique du yoga nidra, vous vous allongez sur le dos en shavasana, et vous suivez les instructions d’un professeur ou d’un enregistrement. Yoga nidra implique une séquence de différentes techniques telles que la conscience du corps, la conscience du souffle, la rotation de la conscience à travers les différentes parties du corps, l’invocation de sentiments et de sensations, diverses visualisations, des mantras, et la répétition d’une résolution, le sankalpa.

Yoga nidra est-il une pratique ancienne ou moderne ?

Certains professeurs de yoga ne reconnaissent pas Swami Satyananda de l’École de Yoga de Bihar comme le créateur du yoga nidra et pensent plutôt qu’il s’agit d’une pratique beaucoup plus ancienne Cependant, il n’y a aucune preuve à cet égard.

Le terme yoga nidra lui-même est beaucoup plus ancien. L’école de yoga de Bihar ne revendique pas l’exclusivité de ce dernier. Mais pour distinguer et protéger la propre pratique de Satyananda, ils ont déposé la marque Satyananda Yoga Nidra™.

Parmi les chercheurs en yoga, il y a des doutes quant aux sources d’inspiration de Swami Satyananda.

Utilisation historique du mot yoga nidra

Le mot sanskrit Yoganidrā est composé de deux mots, « yoga » et « nidrā », signifiant yoga et sommeil. Selon le chercheur et spécialiste du sanskrit Jason Birch, le sens du mot yoga nidra pourrait être interprété de plusieurs façons : « le sommeil qui est le yoga », « le sommeil causé par le yoga », « le sommeil du yoga », entre autres.

Textuellement, le terme apparaît pour la première fois dans le Mahābhārata (IIe millénaire av. J.-C.), et plus tard dans les Puranas (IIIe siècle ap. J.-C.). Ces premières références au terme yoganidrā ne décrivent pas une technique. Elles décrivent le sommeil transcendantal d’un dieu particulier et la manifestation de la déesse sous forme de sommeil.

Selon Birch, les textes shivaïstes et bouddhistes ultérieurs utilisent le terme dans un contexte de méditation. Dans ces textes, yoganidrā se réfère à un état. Par exemple, le texte shivaïste Ciñcinīmatasārasamuccaya le décrit comme « paix au-delà des mots ».

Les textes du hatha yoga médiéval utilisent yoganidrā comme synonyme de samādhi (état de méditation profonde), et cette signification du mot persiste jusqu’au 18ème siècle.

Il est intéressant de mentionner que, à mesure que la place des postures yogiques, asana, a grandi en importance, la Hathaharatnāvalī du 17ème siècle attribue le nom de yoga nidra à une posture de yoga réelle, le yoga nidra asana.

Les origines du yoga nidra moderne

Swami Satyananda Saraswati, fondateur de l’École de Yoga de Bihar, a créé la technique de relaxation moderne yoga nidra au début des années soixante.

Swami Satyananda a maîtrisé une grande variété de pratiques anciennes. Il a modifié certaines d’entre elles pour les adapter à son propre système de yoga. Il prétend que son yoga nidra a été dérivé de « pratiques importantes mais peu connues ».

Dans l’article « Le salut par la relaxation » (Salvation Through Relaxation, 2010), le chercheur Dr Mark Singleton soutient que Satyananda surévalue le lien historique avec les rituels tantriques et que le yoga nidra doit plutôt beaucoup de ses éléments, ainsi que la mentalité qui les sous-tend, à la thérapie de relaxation occidentale du début du XXe siècle. À l’époque où Swami Satyananda a mis en place le yoga nidra, ces techniques avaient déjà eu une influence sur le yoga en Inde. Par exemple, le guru de Satyananda, Swami Sivananda, a enseigné la relaxation progressive d’Edmund Jacobsson.

Pour explorer les origines du yoga nidra, je vais maintenant m’attarder sur chacun des différents éléments du yoga nidra de Satyananda et discuter de leurs origines possibles.

Shavasana

Il y a une ressemblance évidente entre la position pratique de yoga nidra et la thérapie de relaxation allongé occidentale. Contrairement à la plupart des techniques méditatives, nous pratiquons le yoga nidra allongé sur le dos en shavasana.

Selon Jason Birch, les preuves textuelles de l’utilisation de shavasana remontent au moins à l’époque médiévale. Birch affirme que la première référence textuelle est le Datttreyayogastra du XIIe siècle. Dans ce texte, « être couché sur le sol comme un cadavre jusqu’à ce que l’esprit se dissolve » est décrit comme une méthode de laya yoga et non comme une posture. De plus, dans le Vigyana Bhairava Tantra, il y a une référence à s’allonger comme mort.

Le Hatha Pradipika du XVe siècle classifie plus tard cette position comme une asana : « Allongé sur le dos comme un cadavre sur le sol est shavasana. Il remédie à la fatigue et fait que l’esprit s’arrête. »

Bien que la relaxation allongée puisse avoir été un concept établi à l’ouest au début du XXe siècle, la méditation allongée n’était en aucun cas nouvelle pour les traditions de yoga indien.

Rotation de la conscience

Dans son livre sur le yoga nidra, Swami Satyananda mentionne Angushtadi-Shadanga-Nyasa comme source d’inspiration pour l’un des composants du yoga nidra : la rotation de la conscience.

Angushtadi-Shadanga-Nyasa est un rituel tantrique dans lequel les syllabes sanskritiques, les matrikas, sont « placées » sur différentes parties du corps. « Après les avoir moi-même pratiquées, j’ai décidé de construire un nouveau système appelé yoga nidra qui intégrerait l’essence de ces pratiques sans avoir les inconvénients des rituels complexes », écrit Satyananda.

Swami Janakananda, mon propre maître, insiste sur cette connexion dans un article publié dans son périodique Bindu (« Tantra et Yoga Nidra »). Il interprète cette façon de placer les mantras comme un moyen de prendre conscience des différentes parties du corps et d’y amener de la conscience.

Cependant, j’ai vu moi-même des yogis indiens orthodoxes pratiquer le matrika nyasa et il ne ressemble pas beaucoup à la rotation de conscience mentale dans le yoga nidra. Ces yogis touchent physiquement une partie du corps au moment où ils prononcent un mantra. Le matrika nyasa, selon ma compréhension, est un rituel visant à invoquer les déesses qui habitent les syllabes de l’alphabet sanskrit et non une méditation ni une technique de relaxation.

La détente n’est pas un concept de la tradition du yoga

En fait, tout le concept de détente est absent dans le yoga prémoderne. C’est un concept né au sein de la psychologie occidentale. Dans ce milieu, diverses techniques de détente ont été développées pour favoriser la détente à la fin du XIXe et au début du XXe siècle.

Le médecin suisse Otto Vittoz (1863-1925) a développé une technique consistant à ressentir systématiquement les différentes parties du corps. En ce qui concerne les similitudes entre sa méthode et la rotation de conscience de Swami Satyananda, le Dr Singleton écrit : « Il faut se demander si Satyananda s’est directement inspiré du thérapeute suisse autant qu’il s’est inspiré de toute tradition indienne, voire plus ».

Il y avait également d’autres traditions orientales qui utilisaient des techniques similaires. Un autre exemple de rotation de la conscience se trouve dans la méthode de méditation Vipassana de S. N. Goenka. Dans une posture assise, le pratiquant passe plusieurs fois par son corps entier pendant plusieurs heures d’affilée.

Même si matrika nyasa a été la source d’inspiration pour la rotation de la conscience pour Satyananda, des techniques similaires existaient déjà. Elles étaient utilisées à la fois à l’est et à l’ouest.

Conscience de la respiration

Une autre technique importante dans le yoga nidra est la conscience de la respiration. C’est également une technique de méditation générique utilisée, par exemple, par les traditions bouddhistes et tantriques.

Dans le Yoga Nidra de Satyananda, la conscience de la respiration se présente sous différentes variations. Parfois, elle est utilisée en combinaison avec le comptage ou en imaginant que la respiration se produit alternativement à travers les deux narines, comme un nadi shodana mental.

Les traditions orientales ont produit différentes manières d’expérimenter ou d’imaginer la respiration bien avant la thérapie de relaxation moderne.

Visualisations

Le yoga tantrique fait une forte utilisation de visualisations, qui sont généralement liées aux cinq éléments, aux dieux et déesses, et aux chakras. À cet égard, le yoga nidra peut être considéré comme s’appuyant sur des pratiques antérieures, même si les thèmes des visualisations ont été modernisés et adaptés à notre époque.

Chakras et mantras

La localisation et les visualisations des chakras sont pratiquées dans le yoga nidra en plus de l’utilisation de mantras. Ces méthodes ont également été développées dans la tradition du yoga tantrique.

Les chercheurs en yoga moderne critiquent les enseignants de yoga contemporains pour avoir superposé des idées et des hypothèses occidentales sur les chakras tantriques. Cette critique est légitime. Les idées sur les chakras présentées par de nombreuses autorités spirituelles actuelles se basent sur une interprétation créative plutôt que sur le concept original.

Satyananda maîtrisait un grand nombre de techniques issues du tantra et du hatha yoga et liées aux chakras. La manière dont il a initialement mis en œuvre les chakras dans le yoga nidra s’appuie sur ces pratiques anciennes.

Le sankalpa

Dans le yoga nidra, le pratiquant a la possibilité de faire une résolution, le sankalpa. C’est un concept de la tradition indienne remontant aux textes védiques (XVe siècle av. J.-C.). Selon le dictionnaire sanskrit parlé, c’est « un vœu solennel ou une détermination à exécuter toute observation rituelle ». Cela pourrait également être « une conception, une idée, ou une notion formée dans l’esprit ou dans le cœur ».

J’ai moi-même rencontré le sankalpa en dehors de la tradition de Satyananda. C’était dans le contexte d’un rituel de feu, un havan, avec un yogi d’un ordre hindi orthodoxe. Ici, il a pris la forme d’un souhait à garder à l’esprit lors de l’offrande au feu.

Au moment de la conception du yoga nidra, un concept similaire, celui des affirmations, était bien établi à l’ouest. Les yogis modernes en Inde avaient déjà adopté les idées des partisans des affirmations, comme celles du français Émile Coué par exemple

Le Dr Singleton souligne qu’un certain nombre des premiers maîtres du yoga moderne en Inde étaient impressionnés par Coué et par d’autres penseurs occidentaux. Ils ont vu des ressemblances entre leurs idées et les concepts de la tradition indienne. Ils ont senti que ces autorités occidentales donnaient de la crédibilité aux anciens maîtres indiens.

Bien que le sankalpa soit similaire aux affirmations de Coué, cela ne devrait pas lui ôter ses origines indiennes traditionnelles.

Il y a aussi une autre dimension au sankalpa : celle de la magie païenne. En fait, les rituels magiques sont encore importants pour les yogis indiens orthodoxes. Beaucoup plus que les pratiques physiques de yoga qui sont devenues si populaires à l’ouest. Le sankalpa peut tout aussi bien être compris dans un état d’esprit magique que dans un état d’esprit psychologique.

A retenir

• Le yogi indien Swami Satyananda a conçu le yoga nidra. 

• Il s’est basé sur des techniques qui existaient déjà dans la tradition du yoga. Mais en décrivant le yoga nidra comme une méthode de relaxation, il a consciemment placé sa nouvelle technique dans un récit occidental. 

• Swami Satyananda n’était pas insensible à la thérapie de relaxation occidentale, même s’il ne s’en est pas directement inspiré.

• Satyananda, contrairement à certains de ses disciples, n’a jamais prétendu que le yoga nidra était une pratique ancienne. 

• Yoga nidra est une pratique hybride avec des racines en Inde et à l’ouest, et tout aussi moderne que la pratique moderne des asanas. 

Remerciements :
Romain Di Pace, pour la traduction.