Kaki mudra – Bienfaits et pratique du mudra du corbeau

Kaki mudra est une technique de yoga méconnue et pourtant fascinante. Apparue dans la Gheranda Samhita au XVIIᵉ siècle, elle relie le souffle, la concentration et l’énergie vitale. Rarement enseignée dans les cours modernes, elle témoigne d’un Hatha Yoga ancien où chaque respiration visait un véritable approfondissement.
Qu’est-ce que kaki mudra ?
Alors, démarrons l’exploration du kaki mudra.
Les mudras dans le Hatha Yoga
Les mudras constituent la colonne vertébrale du Hatha Yoga, un courant du yoga médiéval qui utilisait le corps comme moyen d’accès à des états de conscience modifiés. Ils associent souvent une technique physique à la rétention du souffle (kumbhaka), élément central de leur puissance transformatrice.
Pour aller plus loin, lisez notre article sur les mudras du Hatha Yoga.
Origine et signification de Kaki Mudra
Kaki mudra en sanskrit signifie littéralement le mudra du corbeau, en raison de la forme que prend la bouche lors de l’inspiration.
Ce mudra ne fait pas partie des mudras centraux du Hatha Yoga, mais il apparaît pour la première fois dans un texte appelé la Gheranda Samhita, daté du XVIIᵉ siècle. Il s’agit donc d’un texte relativement tardif, si l’on considère que les premiers écrits décrivant ce type de pratiques remontent au XIᵉ siècle.
Comme le note le chercheur Jason Birch (2020), la Gheranda Samhita s’inscrit dans la continuité du Hatha Yoga, notamment en s’appuyant sur un texte antérieur, la Hathayogasamhita, et représente une phase tardive de ce courant. Le yoga qui y est décrit est enrichi de nouvelles techniques, dont plusieurs formes de visualisation élaborées.
Dans le chapitre consacré aux mudras, ce texte en décrit vingt (auxquels s’ajoutent cinq méditations ésotériques), comprenant à la fois les mudras classiques et d’autres, propres à cette lignée.
Instructions originales du kaki mudra
La description original de ce mudra est très brève.
« Forme la bouche comme le bec d’un corbeau et inspire très lentement de l’air. Ceci est le kaki mudra. Il détruit toutes les maladies. »
— Gheranda Samhita 3.65
(traduit par mes soins à partir de la traduction anglaise de James Mallinson)
Bien que cette pratique soit très simple, comme pour de nombreuses autres techniques de yoga, différentes manières de la réaliser se sont développées au fil du temps. Dans la partie suivante de cet article, je présenterai trois façons distinctes de pratiquer le kaki mudra — chacune profondément enracinée dans la tradition du yoga médiéval.
Comment pratiquer kaki mudra selon la Gheranda Samhita
Regardons maintenant comment exécuter correctement le mudra du corbeau.
Position
La Gheranda Samhita ne précise pas quelle posture adopter pour pratiquer le kaki mudra, mais il est raisonnable de supposer qu’une posture méditative assise était recommandée.
Suivant la tendance générale de son époque, ce texte inclut davantage de postures non méditatives dans sa section sur les asanas que les œuvres antérieures, mais la majorité des postures décrites restent des postures assises destinées à la méditation.

Commencez donc par vous asseoir dans une position stable et confortable, comme sukhasana (la posture facile), padmasana (la posture du lotus) ou siddhasana (la posture parfaite).
Étapes
- Asseyez-vous droit, dans une position détendue, les yeux doucement fermés.
- Pincez légèrement les lèvres en formant une petite ouverture arrondie, puis inspirez lentement par la bouche — comme si vous sirotiez l’air — en produisant un son doux et régulier.
- Expirez lentement et calmement par le nez.
- Répétez tranquillement pendant plusieurs minutes.

Pratiqué de cette manière, kaki mudra devient une technique simple et apaisante, qui calme l’esprit et détend le système nerveux.
Comment pratiquer kaki mudra selon Swami Satyananda
Swami Satyananda — le maître de mon propre enseignant — était l’une des figures les plus influentes du yoga moderne dans la seconde moitié du XXᵉ siècle.
Son approche, connue sous le nom de Satyananda Yoga ou Bihar Yoga, est largement considérée comme l’une des traditions contemporaines qui préservent le plus fidèlement l’esprit du Hatha Yoga médiéval.
Dans son enseignement, il associe le kaki mudra à une technique classique de concentration : le nasikagra drishti, la pratique consistant à fixer le regard sur le bout du nez.
Dans son ouvrage de référence Asana, Pranayama, Mudra, Bandha, Swami Satyananda décrit le mudra du corbeau de la manière suivante :
Étapes
- Asseyez-vous dans une posture méditative confortable et laissez le corps et le souffle se calmer, les yeux fermés pendant quelques minutes.
- Ouvrez les yeux et fixez le regard sur le bout du nez (nasikagra drishti).
- Pincez légèrement les lèvres en formant une petite ouverture arrondie, puis inspirez lentement par la bouche — comme si vous sirotiez l’air — en produisant un son doux et régulier.
- À la fin de l’inspiration, fermez la bouche et expirez lentement et calmement par le nez.
- Continuez pendant trois à cinq minutes.

Dans l’ensemble, cette version du kaki mudra reste très proche de la description classique, avec simplement l’ajout de la concentration visuelle, caractéristique de l’approche intégrée de Swami Satyananda. Grâce à cette addition, le mudra gagne en profondeur et en efficacité.
Comment pratiquer le kaki mudra selon Swami Janakananda
Mon enseignant, Swami Janakananda, a étudié auprès de Swami Satyananda au milieu des années 1960, à une époque où Satyananda s’intéressait encore principalement au Hatha Yoga traditionnel.
Durant cette période, Janakananda a appris une version distincte du kaki mudra auprès de son maître.
C’est cette version qu’il a ensuite transmise lors de ses retraites avancés, où je l’ai moi-même pratiquée sous sa direction, et celle qu’il décrit dans son ouvrage Yoga, Tantra et Méditation dans la vie quotidienne.
Étapes
- Asseyez-vous droit et stable, les yeux fermés, en laissant le souffle se calmer.
- Pincez légèrement les lèvres en formant une petite ouverture arrondie, puis inspirez lentement par la bouche — comme si vous sirotiez l’air — en produisant un son doux et régulier.
- Ouvrez les yeux et fixez le regard sur le bout du nez (nasikagra drishti).
- Retenez le souffle et gonflez les joues.
- Maintenez la position aussi longtemps que la rétention peut être tenue sans effort excessif, puis fermez les yeux et expirez par le nez.
- Laissez le souffle se rétablir complètement avant de commencer la série suivante.
- Répétez cinq à sept fois

Cette version du kaki mudra est plus complète et plus puissante que les deux précédentes, car elle intègre kumbhaka, la rétention du souffle — mécanisme essentiel du Hatha Yoga classique.
Le gonflement des joues relâche les tensions du visage et de la tête. Cet élément, propre à cette forme de la pratique, lui confère une qualité de détente et de stabilité particulière.
Conseils pour pratiquer kaki mudra
Les rétentions du souffle en yoga sont appelées kumbhaka. Retenir le souffle a un impact profond sur le corps comme sur l’esprit — plus la rétention est longue, plus l’effet est intense. Comme pour toutes les pratiques incorporant le souffle, l’approche juste consiste à développer progressivement sa capacité.
Les mudras sont souvent des pratiques composées, qui associent plusieurs mécanismes psychophysiques à la fois. Dans le kaki mudra de Swami Janakananda, le fait de fixer le regard sur le bout du nez ajoute une dimension de concentration. Le fait de gonfler les joues déclenche en même temps une relaxation faciale — un mécanisme similaire à celui utilisé dans la méthode de relaxation progressive développée par Edmund Jacobson.
La clé de la réussite avec kaki mudra est de pratiquer lentement, consciemment et avec contrôle.
Kaki mudra est il un pranayama ?
Alors que la Gheranda Samhita le place clairement dans la section des mudras, certains enseignants contemporains classent la méthode parmi les pranayamas — allant même jusqu’à parler de “kaki mudra pranayama”. Cela montre non seulement à quel point la frontière entre mudras et pranayamas peut être fluide dans la pratique, mais aussi comment les méthodes traditionnelles continuent d’être réinterprétées à l’époque moderne — un phénomène d’ailleurs présent tout au long de l’histoire du yoga.
Pour ma part, je préfère rester fidèle à la classification originelle et considérer kaki mudra comme un mudra à part entière.
D’un point de vue de pratiquant et d’enseignant, cette distinction n’est pas seulement théorique : elle a une incidence concrète sur le moment et la manière d’intégrer la pratique dans une séance.
Pratiqué comme un mudra, kaki s’inscrit naturellement dans la phase avancée de la séance, après les pranayamas, lorsque le souffle est déjà maîtrisé et que le mental tend vers le calme et la stabilité.
Quand pratiquer kaki mudra
Quant au moment de la pratique, kaki mudra est particulièrement adapté après un bon échauffement comprenant des postures de yoga et des rétentions du souffle préalables. Il trouve naturellement sa place vers la fin d’une séance de yoga ou après la pratique du pranayama, lorsque le corps et l’esprit sont déjà calmes, stables et réceptifs.
Kaki mudra peut aussi être intégré dans une séquence de mudras, comme dans le programme « l’échelle » de Swami Janakananda, où les mudras sont introduites progressivement selon leur zone d’impact le long de la colonne vertébrale.
Expérience personnelle
Lorsque je vivais à Håå Ashram au début des années 2000, j’étais dans un état de grande justesse intérieure, après des années de pratique de yoga intense et régulière, avec de nombreuses heures de sadhana chaque jour.
Je pratiquais souvent le kaki mudra (la version de Janakananda) ainsi que des techniques similaires pour conclure mes séances de yoga de l’après-midi, qui comprenaient également des postures et le nadi shodhana pranayama.
J’ai constaté que lorsque j’étais profondément détendu et que je pouvais retenir mon souffle sans effort pendant quelques minutes, le kaki mudra avait un effet particulièrement profond, approfondissant encore davantage l’état de concentration et de silence qui clôturait la séance.
Bienfaits du kaki mudra
Découvrons maintenant ce que la science et la tradition disent des effets de cette pratique singulière.
Des promesses anciennes souvent exagérées
Si les effets de certaines méthodes de yoga ont été bien documentés par des études scientifiques rigoureuses, les textes médiévaux du yoga ont souvent tendance à exagérer leurs affirmations.
La Gheranda Samhita, par exemple, affirme que kaki mudra détruit toutes les maladies — une promesse que l’on retrouve d’ailleurs pour de nombreuses autres pratiques.
Une pratique peu étudiée par la science moderne
En réalité, il n’existe pratiquement aucune étude scientifique portant spécifiquement sur kaki mudra. La plupart des bienfaits que l’on trouve mentionnés sur Internet sont simplement recopiés de manuels de yoga, qui, pour la plupart, ne citent pas leurs sources.
Des bases scientifiques solides : rétention du souffle et concentration
Cela dit, même s’il n’existe pas de preuves directes concernant kaki mudra lui-même, il existe de solides données scientifiques sur plusieurs de ses composantes essentielles — en particulier la rétention du souffle (kumbhaka) et la concentration mentale.
(Pour en savoir plus sur la physiologie de la rétention du souffle, voyez mon article “Que se passe-t-il dans le corps quand on retient le souffle ?”)
Les effets de la concentration de l’esprit sont également bien établis, tout comme l’impact des contractions musculaires isolées sur le système nerveux et la circulation sanguine.
Les effets physiologiques d’une respiration lente et consciente
Même dans sa forme la plus simple, kaki mudra — une respiration lente et régulière par la bouche — contribue à réguler le système nerveux autonome.
Pratiqué régulièrement, ce type de contrôle respiratoire exerce un effet profondément réparateur, qui s’étend jusqu’au niveau cellulaire et génétique, comme l’ont montré plusieurs études récentes sur la réponse de relaxation et l’expression des gènes.
Une vision globale : la puissance des systèmes intégrés du yoga
Lorsqu’on évalue les affirmations exagérées des anciens textes, il faut garder à l’esprit que les yogis qui les ont rédigés pratiquaient des systèmes intégrés pendant des heures chaque jour. Ils ne pouvaient pas facilement distinguer les effets des différentes techniques, car chacune renforçait les autres.
Pris dans leur ensemble, leurs effets étaient immenses — et dans ce contexte, l’idée qu’ils puissent “vaincre toutes les maladies” n’apparaît plus invraisemblable.
À qui s’adresse le kaki mudra
J’aime considérer le kaki mudra comme une pratique avancée.
Non pas parce qu’elle est techniquement difficile, mais parce que, si elle est effectuée de manière précipitée ou superficielle, on passe à côté de ses dimensions les plus subtiles — celles qui lui donnent tout son sens.
Ce n’est que lorsque le souffle devient vraiment lent et maîtrisé que le kaki mudra commence à révéler ses qualités profondes.
Il est donc logique d’aborder cette pratique après avoir établi des bases solides : un souffle calme, une posture stable et une aisance dans les rétentions prolongées.
Si on la tente trop tôt, on risque de la réaliser mécaniquement, sans en ressentir les véritables effets — une erreur fréquente avec de nombreuses techniques yogiques avancées et subtiles.
Cela ne veut pas dire qu’il faut être un yogi chevronné pour l’apprécier, mais sans le contexte, la préparation et l’encadrement adéquats, on risque de passer à côté de sa richesse.
Pratiques similaires
Peu de techniques yogiques impliquent une inspiration par la bouche.
Aux côtés de sheetali pranayama et du tadan kriya (tel qu’enseigné dans la tradition de Satyananda), kaki mudra fait partie des rares exceptions.
L’inspiration par la bouche porte une qualité ésotérique particulière : celle de boire l’air, en absorbant le prana profondément dans le corps.
Dans la compréhension yogique traditionnelle, ce type de souffle est considéré comme ayant un effet rafraîchissant et équilibrant sur le corps et l’esprit.
Cependant, même si la sensation d’air frais dans la bouche est agréable et apaisante, aucune donnée scientifique ne démontre qu’elle produise un effet de refroidissement physiologique significatif.
Pour en savoir plus, consultez mon article sur le sheetali pranayama.
À retenir
- Kaki mudra est une technique ancienne du Hatha Yoga, apparue dans la Gheranda Samhita au XVIIᵉ siècle.
- Il en existe plusieurs versions, transmises selon les lignées et les époques.
- Pratiqué avec lenteur, stabilité et attention, il agit sur le système nerveux, favorise le calme et renforce la concentration.
- Son efficacité ne se mesure pas isolément : dans la tradition du yoga médiéval, il faisait partie d’un ensemble intégré de pratiques qui se renforçaient mutuellement.
FAQ sur kaki mudra
Sources
Swami Satyananda Saraswati, Asana, Pranayama, Mudra, Bandha, Yoga Publications Trust, Munger, India, 1969 (édition révisée 2008).
Swami Janakananda Saraswati, Yoga, Tantra et Méditation dans la vie quotidienne, Bindu Forlag, Danemark, 1992.
James Mallinson, The Gheranda Samhita: The Original Sanskrit with English Translation, YogaVidya.com, 2004.
Birch, J. (2020). Haṭhayoga’s floruit on the eve of colonialism. In D. Goodall, S. Hatley, H. Isaacson & S. Raman (Eds.), Śaivism and the Tantric Traditions: Essays in Honour of Alexis G.J.S. Sanderson (pp. 451–479). Leiden; Boston: Brill.

Rencontrez votre auteur
Christian Möllenhoff
Professeur de yoga et formateur d’enseignants, Christian est reconnu pour sa pédagogie rigoureuse et inspirante. Il est le professeur principal de l’école Yoga & Méditation Paris, le créateur du site Forceful Tranquility, et l’auteur principal de ce blog.